L’histoire

La Grande Brasserie Ardennaise

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Après les quatre longues années de la guerre de 1914-1918, l’industrie ardennaise fut véritablement pillée, lorsqu’elle n’était pas détruite. Ce saccage n’épargne pas les brasseries ardennaises ; quand celles-ci ne sont pas réquisitionnées par l’occupant, elles sont dévastées, démontées ; l’envahisseur récupère principalement le cuivre. Au lendemain de l’armistice, ce sont les brasseurs de Vézelise, de Châlons-sur-Marne, Saint-Dizier, etc. qui approvisionnent les Ardennes, mais le transport coûte cher. Certains brasseurs repartent, comme avant 1914, avec les dommages de guerre qui leur sont alloués et des méthodes ancestrales. En pays sedanais, il est grand temps d’agir ; flairant l’évolution de la fabrication et de la consommation, certains jugent indispensable de concentrer les efforts en regroupant les dommages de guerre.

Un homme va incarner le renouveau brassicole ardennais : Emile Baudelot, petit-fils de Jean-Louis Baudelot, brasseur à Haraucourt et inventeur du système réfrigérant éponyme. C’est lui qui va fédérer un maximum de petits brasseurs sinistrés, rassemblant une bonne trentaine de confrères des Ardennes et du nord de la Meuse. S’ils ne se regroupent pas, les brasseurs sinistrés sont destinés à être mangés, à savoir si c’est à la sauce Champigneulles, Vézelise, Française ou Boche que nous serons accommodés (déclarait-il). Secondé par quelques dynamiques confrères, Emile Baudelot, s’active efficacement, cherchant des capitaux, un emplacement et une compétence technique. Il cherche à contrecarrer rapidement l’importation de bières lorraines qui approvisionnent largement le département. Vue la position des Ardennes, son investigation passe par le nord, première région brassicole de France, et par l’est, seconde région. Il s’assure enfin le concours d’un brasseur lorrain Louis Moreau, qui, dans ses brasseries de Saint-Nicolas-de-Port et de Vézelise, fabrique une bière d’excellente qualité.

Enfin, réunissant leur savoir-faire et leurs dommages de guerre, 17 brasseurs régionaux fondent, le 12 juillet 1921 sur l’emplacement de la Malterie Ricard-Février à Sedan, la Grande Brasserie Ardennaise. Une brasserie nouvelle, de grande capacité (on visait les 100 000 hectolitres), au pouvoir innovant. Le choix du lieu s’est porté sur cette malterie située à proximité de la voie ferrée, à la périphérie de Sedan où des terrains sont encore disponibles pour le développement futur de l’entreprise. A noter que, soucieux de contrôler un futur concurrent, Louis Moreau fait entrer les Brasseries de Vézelise et de Saint-Nicolas-de-Port pour 25% dans le capital de la jeune société.

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Les premiers administrateurs de la Grande Brasserie Ardennaise

Dès l’origine, la GBA va se lancer dans la fermentation basse, selon les meilleures techniques du moment, produisant des bières de première qualité. Si les statuts de la nouvelle société, sont déposés le 12 juillet 1921, il faudra attendre trois longues années pour voir sortir le premier brassin (25 novembre 1924). Afin de mettre en œuvre les nouvelles techniques brassicoles (fermentation basse), il faut faire appel à de nouvelles compétences ; Louis Moreau propose un homme qu’il connaît bien, puisqu’il a dirigé avant guerre, la brasserie de Vaucouleurs, déjà associée aux brasseries de Lorraine susnommées. Ce jeune brasseur s’appelle Maurice Jasson.

Au début de 1925, la première bière est envoyée à tous les membres du conseil d’administration, aux fondateurs, puis aux ouvriers ayant œuvré à la construction de la brasserie.

En 1926, achat des premiers camions, des Saurer, marque suisse ; camions robustes et de grande qualité, (certains rouleront pendant trente ans), ils vont permettre d’étendre le rayon d’action de la brasserie.

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Camion publicitaire – la GBA

En 1928, la G.B.A. achète à Mohon la brasserie Pelletier qui fabriquera de la bière à fermentation haute jusqu’en 1932. Elle installe dans cette dernière un dépôt central de ses bières qui comprend en outre une fabrique de glace, d’eaux gazeuses et une cidrerie moderne.

Après l’achat d’une seconde brasserie, à Charleville cette fois, la G.B.A. s’ouvre toute grande la porte des consommateurs de la première agglomération des Ardennes.

Pour faire face à la crise de 1929, Maurice Jasson décuple son énergie et lance quatre actions concomitantes :

  • Création de dépôts dans les secteurs des Ardennes, là où la G.B.A. n’avait pas obtenu la collaboration de distributeurs locaux ;
  • Lancement de la bière en litre, vendue par les magasins à succursales multiples alors en plein développement ;
  • Recherche de nouveaux débouchés régionaux et à Paris ;
  • Développement d’activités annexes : production de limonade et de cidre.

Par rapport à la première année complète d’exploitation, la production a doublé, atteignant 100 000 hl en 1930.

En février 1929, Louis Moreau, brasseur à Vézelise devient président de la Brasserie de l’Espérance, située rue Baron Quinart à Charleville. La production de bière de celle-ci sera vite rapatriée à la brasserie de Sedan, qui conservera la marque pour continuer à approvisionner les consommateurs en bière de l’Espérance. En 1930, la société Brasserie de l’Espérance est dissoute. Malgré la crise économique de 1929 dont les effets se prolongent pendant de longs mois, la G.B.A. poursuit sa progression, et au cours de l’Assemblée Générale, Louis Moreau, président de séance tient à témoigner à la direction générale, aux collaborateurs du personnel technique, administratif et ouvrier, toute sa reconnaissance pour le dévouement auquel il a la satisfaction de rendre hommage ici.

Les 15 jours de chaleur tropicale en août 1932 ont permis de réaliser une année correcte. La bière de Sedan part à la conquête des départements limitrophes (Stenay et Verdun dans la Meuse, Ornaing dans le Nord), puis en 1934, Villerupt (54) et Hirson (02)… et même la région parisienne. L’ancienne brasserie de Verdun devenue dépôt, (dirigé par M. Remy), et qui distribuait les bières de Sedan et de Vaucouleurs, revêt une grande importance : à l’époque, c’est la quatrième ville touristique de France ; les vétérans s’y rendent très nombreux en pèlerinage, les familles viennent sur les lieux de combats de leurs parents. Les cafés débitent de la bière en abondance à ces touristes venus des tous les coins de France et même de l’étranger.

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Stand Couderc à la Foire de Paris – la GBA

En 1938 la G.B.A. employait 200 personnes et produisait  80 000 hl de bière dont 40% de bière de luxe, 10 000 hl de boissons gazeuses et 6 000 hl de cidre.

En 1939, la G.B.A. fait l’acquisition d’un terrain de 5 455 m² appartenant à la Cie des Chemins de Fer Départementaux (ligne Sedan – Bouillon, supprimée quelques années plus tôt), terrain attenant au bâtiment de la canetterie avec 35 m de façade avenue Pasteur, pour un montant de 136 375 Fr. Les travaux d’extension de la canetterie devaient commencer en septembre. Cette année est marquée par un net ralentissement des ventes en raison de la mobilisation ; camions réquisitionnés, certains entrepôts fermés, faute de main d’œuvre, d’autres exploités par les femmes des mobilisés. A Paris, les ventes de l’entrepôt ont chuté de 75%. La production de cidre baisse de 14%, celle de glace, de 5%.

L’invasion de la Pologne entraîne la déclaration de guerre, le 1er septembre 1939. Mobilisation générale ! 75% de l’effectif de la G.B.A. part sous les drapeaux, la production tourne au ralenti. En attendant un prompt retour parmi nous, la direction prend des dispositions pour venir en aide aux mobilisés ainsi qu’aux familles de certains d’entre eux particulièrement déshéritées. La production est réduite à 30%, la bière est vraiment de faible densité. Au cours de l’année 1943, on s’enlise dans l’occupation, il faut jongler avec les contraintes de l’économie nouvelle, maintenir l’activité en dépit de l’aggravation grandissante des difficultés diverses résultant du prolongement de cette période particulièrement pénible.

Le 6 septembre 1944, Sedan est enfin libéré, mais si la victoire est en marche, la reconstruction économique sera plus longue. Il faudra attendre 1947 pour recevoir des malts et des houblons en quantité suffisante afin de fabriquer une bière de bonne qualité.

Pour la G.B.A., la production de 1939 ne sera atteinte qu’en 1956 ! En raison de la destruction massive des chemins de fer, la logistique demeure un problème crucial. Aussi, la Brasserie doit-elle assurer elle-même ses approvisionnements.

En 1946, Sedan brasse pour l’armée américaine qui livre les matières premières et vient chercher les produits finis à la Brasserie, cependant, la qualité du houblon est toujours moyenne.

La SNCF fait un très gros effort pour remettre rapidement le réseau en état de marche. A Mohon, la production d’eaux gazeuses est bonne, celle de cidre est mauvaise en raison d’une mauvaise récolte de pommes. Le manque de main d’œuvre se fait cruellement sentir car un certain nombre de réfugiés sont resté sur place. La pénurie de matières premières est toujours préoccupante. Il ne faut surtout pas s’imaginer qu’une fois l’armistice signée, toute l’économie tourne à nouveau à plein régime.

Conséquence des hostilités, de nombreuses brasseries ont disparu ; il n’en reste que 21 dans les Ardennes et 4 dans la Marne ; dès 1951, la brasserie du Fort Carré à Saint-Dizier (Haute-Marne), passe sous le contrôle de Champigneulles.

Cependant, la G.B.A. poursuit son développement, installe une nouvelle canetterie en 1949.

Les destructions de la guerre n’auront pas épargné les cafés de la ville : aux Soquettes, la plus belle terrasse de la ville a quasiment disparu. Certains commerces se réinstalleront dans des baraquements provisoires.

L’année 1949 marque le retour progressif à la liberté d’approvisionnement, mais la sécheresse a fait grimper les prix (orge + 7,5%, houblon + 63%). Heureusement, le beau temps de juin à octobre a favorisé les ventes. La production approche celle des meilleures années d’avant-guerre. De ce fait, la canetterie est saturée, il a fallu recourir aux heures supplémentaires toujours plus onéreuses. Le relèvement de la qualité et de la densité, le lancement de nouvelles marques de bière ont provoqué un revirement très favorable de la clientèle. Les exportations (vers les colonies), progressent. Le négoce de vin se limite à l’arrondissement de Sedan. Une prime exceptionnelle a été allouée à tout le personnel.

Après quelques années à différents postes, Michel Jasson intègre la direction de la G.B.A. aux côtés de son père ; il va s’attacher à donner une nouvelle impulsion à la brasserie. Les travaux d’extension de la canetterie commencent.

L’année 1951 est marquée par le développement de l’exportation. La G.B.A. exportent vers les colonies d’Afrique et d’Indochine par l’intermédiaire de SODIBO. A une époque où les matières premières sont encore parfois difficiles à approvisionner, la G.B.A. trouve, par le biais de cet agent, plus facilement du malt pour pouvoir exporter. Les bouteilles de 65 cl sont placées dans des caisses en bois et surmontées de croisillons s’emboîtant sur les cols, pour bien les tenir en place. C’est aussi le début des boîtes métal qui voyagent mieux que les canettes en verre et qui ne sont pas consignées.

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Une partie de la gamme des bouteilles des années 50

En 1952 Jean Niedermayer, ingénieur brasseur prend la succession de René Gonthier, le premier directeur technique de la G.B.A. En raison d’une saison estivale très chaude, il faut doubler les équipes aux chaînes d’embouteillage pour satisfaire une demande exceptionnellement élevée.

En 1953, lancement de la marque KOK pour les boissons gazeuses.

Glacoide pour le soda "KOK" entre 1953 et 1956. Dim 34 x 24 cm.

Glacoide pour le soda « KOK » entre 1953 et 1956. Dim 34 x 24 cm.

Vers 1955, la prospection commence à Reims, et porte rapidement ses fruits grâce à la compétence et le dévouement de ses premiers acteurs : Lucien Bluzat, chauffeur-livreur, fait la tournée des cafés avec Roger Duchenet, inspecteur principal à la G.B.A. . Ils font du porte à porte et du laisser sur place. Leur technique : entrer dans un café, commander une bière, et …proposer une Sedan. Une de leurs premières visites se déroulant chez M. Fenat, cafetier rémois, leur réserva une grosse surprise : comme d’habitude, ils commandent une bière et le patron leur sert une Sedan ! Qu’il achetait, discrètement, au dépôt de Rethel.

Maurice Jasson, prend (sur le papier), une retraite bien méritée ; toutefois, du brassin aux bureaux, on verra longtemps la silhouette de ce patron toujours soucieux du devenir de sa brasserie. Son fils Michel lui succède en 1955.

En 1956 Le nouveau soda KOK, doit bientôt changer de nom, pour éviter un procès avec Coca-Cola (qui utilise Coke). L’U.A.S.T. remporte la coupe de France en battant Troyes. La G.B.A. fabrique une bière spéciale, distribuée dans tous les cafés de Sedan.

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Affiche publicitaire Coupe de France et la GBA

En 1957, 3 semaines de canicule en juin et juillet ont saturé les terrasses, la bière coule à flots pour étancher la soif de maints gosiers déshydratés. Ceci s’est traduit par une excellente année.

La G.B.A. étend son réseau de distribution par de nouveaux points de vente : Epernay, Romilly-sur-Seine, Fère-en-Tardenois, Crépy-en-Valois, (créé par M.Bluzat, ancien du dépôt de Reims) ; elle achète la brasserie Agon à Floing (qui fabriquait de la bière de ménage, de la bière bock, du Cidragon, à l’effigie des dragons), et cesse la vente de vin sur le Sedanais. Une partie du personnel Agon est reprise par la G.B.A.

Toutes les fabrications sont regroupées sur le site de Sedan ; la nouvelle fabrique de limonade a permis un gain de productivité très appréciable (+ 36% par rapport à 1956).

La brasserie dispose maintenant de trois lignes d’embouteillage ; une nouvelle laveuse d’une capacité de 15 000 bouteilles/h est mise en service.

Achats de nouveaux véhicules, caisses, bouteilles, futaille…

Le pic de la demande due à la canicule a pu être satisfait, mais il faudra à nouveau investir, décision est prise pour la réalisation de nouvelles caves de garde.

A la fin des années cinquante, outre les Ardennes, la Meuse, l’Aisne et la Marne, la G.B.A. élargit l’horizon de sa distribution en s’implantant dans de nouveaux départements.

Dans la région du Nord, grande consommatrice de bière, il existe de nombreux brasseurs, toutefois, malgré cette concurrence omniprésente, la G.B.A. arrive à trouver dépôts et débits de boissons.

Dans la région parisienne, Couderc, un Auvergnat, se taille une bonne place auprès de ses compatriotes « café, bois charbon » et devient un grand entrepositaire de la bière de Sedan.

En 1957, toutes boissons confondues, Mohon et Sedan produisent 150 000 hl. Le parc automobile se monte à 42 camions allant du 2,5 T au 15 T.

L’année 1959 marque une année record pour la brasserie française qui dépasse 18 millions d’hl, dépassant l’année 1931, (+ 6,7% par rapport à 1958 et + 44, 4% par rapport à 1954). Mais les importations de bières étrangères, encore faibles, ont progressé de 30% et les exportations de bières françaises vers nos partenaires européens, restent à un bas niveau.

Un dépliant, édité en 1955 par Bolar présente formidablement bien la Brasserie et ses produits.

Indispensable pour une brasserie, l’eau est pompée à Wadelincourt ; la tour carrée est le château d’eau ; la station de pompage de Wadelincourt étant devenue insuffisante, une nouvelle station de pompage avec un débit plus important est créée à la ZUP là où se trouve le  nouveau stade de football Louis DUGAUGUEZ. Elle nécessite la création d’une nouvelle conduite d’eau qui rejoindra la conduite de Wadelincourt après être passée sous le pont de la gare.

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La brasserie se divise en trois partie principales :

Le centre technique regroupant :

  • Les silos : stockage de l’orge
  • Le moulin : réduit le malt en farine
  • La salle de brassage comprenant 3 chaudières en cuivre, rutilantes : chaudière d’empâtage, chaudière à trempes, et chaudière à houblonner.
  • La fermentation
  • La cave de fermentation : cuves en acier vitrifié
  • La centrale frigorifique
  • Le traitement des eaux
  • La filtration

La partie mécanique :

  • Soutirage des fûts
  • Soutirage des bouteilles
  • Rinçage des fûts
  • Caisserie : stockage et réparation des caisses en bois
  • Château d’eau

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Les bâtiments divers

  • Garage : pour la flotte de camions

brasserie ardennaise gba camion

  • Atelier mécanique
  • Atelier d’entretien : le service d’entretien intervient rapidement pour les transformations et réparations; dirigé de nombreuses années par Hubert CHENAL, c’est Jacky NIEDERMAYER qui lui succédera.
  • Quai d’expédition route : livraisons aux dépôts et aux entrepôts ainsi que pour l’approvisionnement des  bars hôtels restaurants, des épiceries et des particuliers.
  • Embranchement ferroviaire : pour la livraison des dépôts lointains et l’exportation
  • Les bureaux : outre les services administratifs et comptables, le bâtiment abrite au rez-de-chaussée, l’accueil, le standard téléphonique et la salle de réception avec bar.
  • Service social
  • Conciergerie
  • Maisons ouvrières

 

Les derniers fûts en bois sont remplacés par des fûts en aluminium ; poursuivant sa politique de meilleure productivité, tant en quantité qu’en qualité, la G.B.A. met en place la palettisation et remplace les anciens tanks en bois par 6 nouveaux ayant une capacité de 144 hl chacun.

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Installation de tanks de garde dans le bâtiment des caves

Au cours de l’année 1960 Louis Moreau, ancien président directeur général de la brasserie Vézelise et président de la G.B.A. de 1921 à 1941, décède à l’âge de 95 ans.

Un été froid et pluvieux met un terme à 7 années de progression constante. L’influence climatique est nette : – 40% pour le seul mois de juillet.

La désaffection est surtout marquée vis-à-vis des bières de faible densité.

En 1961, 5 ans seulement après le première victoire en final, L’U.A.S.T. remporte une nouvelle fois la coupe de France en battant Nîmes (3-1). La bière de la coupe coule de nouveau dans les cafés du Sedanais, et d’ailleurs….

Bière de la coupe de France 1961.

Bière de la coupe de France 1961.

Au cours de l’année 1963, la profession a été particulièrement éprouvée par la rigueur de l’hiver et la médiocrité de l’été, engendrant des baisses sensibles en janvier, juin, août et septembre. La production française baisse de 1,83%, Dans ce contexte morose, la G.B.A. tire son épingle du jeu, limitant la baisse à 1,04%.

De 2 800 brasseries en 1914, le nombre est passé à 956 en 1939, à 299 en 1952 pour arriver à 190 en 1963.

Le marché intérieur ne se développe plus, malgré la croissance générale ; la bière ne représente que 13% des boissons consommées contre 57 % en Allemagne.

Jonction entre le nord et l’est, le secteur des Ardennes figure parmi les départements prospères au début des années soixante,. De nombreuses usines sont venues s’y implanter, dans le sedanais tout particulièrement, prenant le relais de l’industrie textile qui amorce un long et irrémédiable déclin. Sur un plan métallurgique, Lorraine Escaut qui deviendra Usinor en 1966 tourne à plein régime.

Une nouvelle zone industrielle voit le jour à Bazeilles… Avec le Tapisom et le Tapiflex, Sommer développe ses usines de Mouzon et de Sedan. L’équipe de foot de Sedan caracole en première division. Bref, tout va bien dans le sedanais, qui est en situation de suremploi, pendant une partie de cette période baptisée les trente glorieuses.

Entre 1955 et 1963, la production de la G.B.A. va pratiquement doubler passant de 120 000 hl à 230 000 hl. Si la bière de ménage ne se développe plus, en un an, les ventes de bières de luxe (la Prince’s Beer ) augmente de 12% ; les ventes de boissons gazeuses se développent rapidement ; le chiffre d’affaires de la G.B.A. s’accroît de 4,5%.

En 1965 la jeune Chambre Economique du Cambrésis décide d’organiser une importante kermesse à Cambrai sous l’appellation de « Kermesse de la Bêtise ». Gérard Lepoivre dynamique cadre de cette Chambre rencontre Michel Jasson et lui fait part de ce projet. Conscient de l’impact publicitaire de cette manifestation pour la G.B.A. dans cette région, Michel Jasson accepte de prendre le risque de l’investissement dans le matériel nécessaire pour fournir en bière cette opération.

Camions citernes en partance pour la kermesse de la bière à Cambrai. (photo Mr Niedermayer)

Camions citernes en partance pour la kermesse de la bière à Cambrai. (photo Mr Niedermayer)

 

Ainsi, pendant plusieurs années de suite, la G.B.A. va faire chanter les Ch’tis du Cambrésis, du Valenciennois et des environs sur l’air du sirop typhon : « Buvons, buvons, buvons la bière de Sedan c’est épatant …. » Quelle publicité !

La première kermesse eut lieu en septembre 1966.

La bière était tirée directement des citernes calorifugées transportées sur semi- remorques. Un plombier-électricien du SAV était en permanence sur place pendant toute la durée de la kermesse pour s’assurer de la qualité du tirage et intervenir à la moindre panne.

Les chiffres annoncés par la Voix du Nord sont éloquents.

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Le grand tournant des années 70

 

Le marché de la bière stagne depuis de nombreuses années, la concurrence est de plus en plus vive. La population ardennaise n’augmente pas comme on le prévoyait, privant ainsi la brasserie d’un débouché de proximité primordial. L’appréciation de la bière locale s’émousse, la baisse de l’activité industrielle ôte les consommateurs du bistrot après le boulot ; après avoir connu son apogée sur un plan population en 1968, Sedan, qui n’est plus une place militaire entame une longue épreuve de déclin économique. Pour rester dans le simple domaine brassicole, la concurrence est à la fois régionale, nationale et même étrangère. Quelques signaux d’alarme : les brasseries La Perle à Strasbourg, Diener à Sochaux ferment leurs portes

Dès 1967 s’engagent les premiers pourparlers avec le grand brasseur belge de Louvain, Stella Artois, désireux de s’implanter à grande échelle sur le territoire français, le marché belge étant saturé.

La cessation d’activité, plus ou moins longue, en 1968 a représenté une épreuve difficile pour un grand nombre d’entreprises, humainement et économiquement ; la Brasserie de Sedan n’échappa pas à la règle.

En 1969, lorsqu’elle intègre le groupe Artois, la brasserie sedanaise produit encore 160 000 hl de bière, dont 55% en bières fines, 70 000 hl de boissons gazeuses, (et en plus, 20 000 hl de boissons diverses en négoce) ; elle emploie 230 personnes. Un article de l’Ardennais, paru en décembre 1969, est presque dithyrambique sur la brasserie de Louvain qui est passée de 500 000 hl en 1950 à 3 millions d’hl en 1969.

Le 8 mai 1971 la GBA faite son cinquantième anniversaire!!!!

50 ans brasserie sedan anniversaire

Invitation pour le cinquantenaire de la GBA

En présence de Maurice Jasson, son fondateur, la G.B.A. fait la fête sous le chapiteau de la kermesse de la bière ; pour marquer l’événement, la brasserie édite une nouvelle chope de 0,5 litre, en grès émaillé, reprenant les armoiries des trois principales villes ardennaises des années vingt.

Le 29 juin 1972, est créée la SA Brasserie Lorraines, par la fusion de la Grande Brasserie Ardennaise à Sedan et des Brasseries de Vézelise et Saint-Nicolas, à Saint-Nicolas de Port (Meurthe & Moselle), toutes deux étroitement associées au groupe belge des Brasseries Artois à Louvain.

En 1977, Michel Jasson, directeur de la G.B.A. est muté au siège de Stella Artois, à Louvain afin d’assurer diverses missions pour le compte du groupe Artois ; on murmurait en coulisse que c’était un bon prétexte pour l’éloigner de Sedan afin d’avoir les coudées franches pour préparer la fermeture de la brasserie sedanaise.

Cette même année, c’est avec émotion que la population sedanaise apprend le décès de Maurice Jasson, âgé de 95 ans.

Afin de réduire les différents coûts de production, de rationaliser…Stella Artois décide de fermer l’une des trois brasseries encore en activité, et Sedan se trouvant entre Armentières et Saint-Nicolas, dans la zone la moins peuplée et la plus faible économiquement, est sacrifiée en 1979 sur l’autel de la rentabilité ; la faiblesse du marché local est un autre argument face à des villes comme Lille ou Nancy.

Début janvier 1979, suscitant de vives inquiétudes, le couperet tombe, : M. Dubois, président du Directoire des Brasseries Lorraines annonce le projet de l’arrêt de la fabrication entraînant la suppression de 79 emplois du site qui deviendrait un simple dépôt ; à cette époque, les Brasseries Lorraines emploient 310 personnes sur les sites de Saint-Nicolas-de-Port et de Sedan.

affiche publicitaire gba brasserie sedan

Affichette placardée dans les rues de Sedan

Les salariés de l’entreprise se posent de nombreuses questions : pourquoi fermer une entreprise qui réalise des bénéfices, est-ce à cause de la piètre situation géographique du Sedanais et des Ardennes, nettement moins peuplés que la région de Nancy. Pourquoi des véhicules de Sedan ont-ils été transférés à Saint-Nicolas ?

Le ton monte le vendredi 16 février 1979 : 5 000 personnes défilent à nouveau dans les rues de Sedan pour lutter contre la dégradation de l’emploi. Mais si le défilé commence en bon ordre, il se termine par quelques actes de violence vis-à-vis du commissariat, de l’hôtel des impôts, de la permanence du Dr Sourdille, le député de Sedan – Vouziers…

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Manifestation place Voltaire devant la GBA

Début avril, 73 des 115 salariés de la Brasserie reçoivent leur lettre de licenciement, ce qui entraîne une nouvelle grève. La G.B.A. produit ses derniers brassins, la production s’arrête alors qu’il reste encore trois mois de stocks en cuves. Nouvelles scènes de violence : téléphone coupé,

voitures saccagées, vitres brisées…

La bière de Sedan a vécu, la fameuse Prince’s Beer, l’inoubliable Cervisa Pils vont disparaître.

Le lion des Flandres a terrassé le sanglier des Ardennes.

La Grande Brasserie Ardennaise devient alors un entrepôt Stella Artois ; la salle de brassage est vendue, la façade de la brasserie est éventrée en plusieurs endroits pour sortir les cuves et autres matériels revendus.

Fin décembre 1983, les Ets Lemoine de Reims procèdent à la démolition des bâtiments 

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Janvier 1984 – la GBA

En janvier 1984, la démolition suit son cours

Un grande partie du site de l’ancienne brasserie est vendue pour construire un hypermarché Leclerc qui ouvrira ses portes le lundi 27 août.

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Janvier 1984 – implantation de l’Hypermarché Leclerc